Voix d’experts
L’avenir du changement comportemental : je suis une femme et je suis capable de tout
par Poonam Muttreja
directrice exécutive, Population Foundation of India
Les problèmes liés à la planification familiale sont complexes. Ils sont liés à des normes sociales bien ancrées au sujet des rôles de genre et de la vie familiale et ils doivent être envisagés d’un point de vue global. Pour augmenter le recours à la planification familiale, donner des informations et fournir l’accès aux contraceptifs ne suffisent pas. Les personnes doivent être prêtes à changer leur comportement. Comme le dit le dicton, « savoir et ne pas faire revient à ne pas savoir ».
Population Foundation of India (PFI) reconnaît que l’éducation par le divertissement, ou « éducation ludique », représente l’une des approches les plus efficaces pour influencer le changement de comportement, comme cela est prouvé au niveau mondial. Des séries d’éducation ludique en Afrique du Sud, au Mexique, au Pérou et partout dans le monde ont révélé qu’aborder les problèmes sociaux dans des émissions populaires réalisées avec soin permet d’avoir un réel impact. Nous avons adopté cette approche pour Main Kuch Bhi Kar Sakti Hoon (MKBKSH), qui se traduit par « Je suis une femme et je suis capable de tout. »
MKBKSH est une série télévisée populaire qui porte sur le personnage de Dr Sneha, une jeune médecin empathique d’un petit village en Inde. Le Dr Sneha est une femme moderne et indépendante qui n’a pas peur de s’en prendre aux normes sociales nocives, abordant les sujets les plus difficiles et controversés à l’heure actuelle : le mariage des enfants, la préférence pour le fils, l’absence de contraception, la violence domestique et l’inégalité des genres. Les histoires sont fondées sur des études de cas réelles et les scripts sont rédigés en collaboration avec des experts en changement social et comportemental. Le réalisateur et co-créateur Feroz Abbas Khan aborde les sujets avec dignité, sensibilité et courage, les mêmes qualités dont il fait preuve dans ses œuvres récompensées à Bollywood et au théâtre.
La série a été lancée à la télévision nationale indienne en mars 2014, en même temps qu’une version pour la radio et un système de réponse vocale interactive (SRVI). Nous n’exagérons rien en disant que la réponse a été phénoménale. Plus de 58 millions de spectateurs ont regardé la série et 625 318 appels téléphoniques ont été reçus sur le SRVI pour la première saison uniquement. Le public trouve que le programme est réalisé de façon très convaincante et invite à réfléchir. Le personnage de Dr Sneha est devenu un exemple pour de nombreuses jeunes femmes indiennes.
Et surtout, selon les téléspectateurs eux-mêmes, la série inspire des changements profonds des attitudes et des comportements. Une étude d’évaluation réalisée dans les États de Madhya Pradesh et de Bihar pour observer l’impact de la série a révélé des changements positifs de façon générale. Par exemple, avant de regarder la série, seuls 2 pourcent des hommes dans la zone d’étude comprenaient que le mariage précoce représentait un risque pour la vie de la mère et celle du bébé. Désormais, ce chiffre s’élève à 31 pourcent chez ceux qui ont regardé MKBKSH. Le pourcentage des belles-mères comprenant l’importance d’espacer les naissances d’au moins deux ou trois ans est passé de 57 à 86 pourcent. Le pourcentage des hommes connaissant l’existence de la Loi portant sur l’interdiction du mariage des enfants est passé de 54 à 90 pourcent. Et le pourcentage des femmes mentionnant la peur des effets secondaires comme raison de ne pas prendre de contraception moderne est passé de 57 à 32 pourcent.
Cet impact s’explique notamment par l’approche de communication à 360 degrés de l’initiative MKBKSH. Le changement de comportement ne se produit pas de façon isolée et, pour être efficace, la communication doit s’inscrire dans un contexte socioculturel : environnements favorables, systèmes de prestation de services et cadre communautaire et familial favorables. Dans MKBKSH, le message est transmis et renforcé via différents canaux. La série télévisée et à la radio s’accompagne d’une présence sur les réseaux sociaux, sur téléphone portable, et le SRVI, qui fournit des informations et des conseils et un espace pour le partage. Les clubs de téléspectateurs, groupes de discussion et événements communautaires sont renforcés par des réunions individuelles avec des conseillers et des travailleurs de la santé de première ligne. Puisque le public reçoit le même message provenant de différentes sources, il bénéficie de plus de connaissances, les comportements changent et les normes sociales sont transformées et modifiées.
Nous pensons que cette méthode (éducation ludique avec une approche à 360 degrés) représente une façon de changer les comportements. Les stratégies de changement social et comportemental représentent un aspect essentiel des soins préventifs et les actions à grande échelle doivent être conçues en tenant compte des nombreux facteurs influençant la vie et les décisions des personnes. Chez PFI, nous tenons à partager ce que nous avons appris de MKBKSH et nous proposons de nous associer aux gouvernements et aux agences multilatérales pour rendre possibles des initiatives similaires en Inde et partout ailleurs.
Le succès de Main Kuch Bhi Kar Sakti Hoon montre que c’est possible. Aujourd’hui, MKBKSH est bien plus qu’une série télévisée populaire. Il s’agit d’un appel national pour la santé et l’autonomisation des femmes, avec la possibilité d’inspirer et de changer la vie de millions de femmes et de jeunes filles.
