Voix d'experts
Décentralisation et planification familiale : le point de vue du Kenya
Par le Dr. Josephine Kibaru-Mbae
Directrice générale du Conseil
national pour la population et le
développement, Kenya
Le Kenya est aux prises avec un processus de décentralisation ambitieux qui, une fois terminé, promet de rapprocher le gouvernement du peuple et d’améliorer la qualité des services publics fournis. La constitution du Kenya de 2010 a créé un système de gouvernement décentralisé constitué de 47 comtés, chacun étant responsable de fournir des soins de santé et autres services à ses habitants. Le processus même de décentralisation a débuté en mars 2013, lorsque les nouveaux gouvernements de comtés ont été élus et ont commencé à assumer les pouvoirs et responsabilités leur ayant été dévolus.
Pour le programme de planification familiale du Kenya, les deux premières années de décentralisation ont été une période d’enseignements et d’ajustements. Nous passons d’un système très centralisé (dont la politique et la mise en œuvre étaient gérées pour tout le pays par le Conseil national du Kenya pour la population et le développement [National Council for Population and Development, NCPD] et le Ministère de la Santé) à un système où chaque comté est responsable de la planification, de la budgétisation et de la mise en application des services de planification familiale. Évidemment, il y a eu quelques défis.
Un grand défi est la perte pure
et simple de continuité et de
mémoire institutionnelle, qui est
probablement inévitable lors
d’une transition de cette sorte.
Les nouveaux gouvernements
de comtés partent de zéro,
apprennent ce qu’ils doivent
faire, pourquoi ils doivent le faire
et comment. Le rôle du NCPD
est d’agir en tant que conseiller
technique et facilitateur en
aidant les gouvernements de
comtés à renforcer leur capacité
à faire fonctionner les services de
planification familiale.
Le deuxième défi, indéniablement associé au premier, est l’écart de financement qui s’est créé pour les produits contraceptifs. La ligne budgétaire nationale pour l’approvisionnement en produits a été éliminée au moment de la décentralisation des services de santé, dans l’espoir que les comtés reprennent cette fonction budgétaire. Mais les comtés n’étaient pas préparés à cela et initialement, il n’y avait pas de budget dédié à la planification familiale. Durant les deux premières années de la décentralisation, le Kenya était totalement dépendant des donations extérieures pour ses produits contraceptifs.
Le troisième défi est lié à la distribution de produits au sein du pays. L’Autorité de fournitures médicales du Kenya (Kenya Medical Supplies Authority, KEMSA) est une agence nationale qui distribue les médicaments, les contraceptifs et autres fournitures à travers le pays. Avant la décentralisation, les produits contraceptifs étaient automatiquement envoyés aux établissements depuis les entrepôts ; avec le nouveau système décentralisé, il n’y a plus de budget alloué pour la distribution des produits. Ils ne sont distribués que si le comté passe des commandes pour des médicaments et les produits contraceptifs sont alors ajoutés à ces commandes. Si les comtés ne passent pas de commande de médicaments, alors aucun contraceptif n’est envoyé. Les ruptures de stock locales sont alors inévitables.
Ces problèmes sont complexes, mais nous enregistrons d’excellents progrès dans ce domaine. Une chose que nous avons apprise est qu’il doit tout simplement exister un programme national pour l’achat de produits afin d’assurer la durabilité et l’équité de la démarche. L’organisation de ce programme dans le contexte de notre système décentralisé n’est pas encore claire, mais des discussions sont en cours. Au même moment, le Trésor public a restauré la ligne budgétaire nationale pour les produits, allouant 50 millions de shillings kenyans pour l’exercice fiscal 2015/16.
Nous avons également remarqué un indéniable progrès au niveau des comtés, alors que les gouvernements de comtés prennent leurs marques en tant que leaders de la communauté. Le NCPD travaille étroitement avec les membres des assemblées et les dirigeants de comtés pour les aider à comprendre l’importance de la planification familiale et comment elle s’intègre à leurs programmes de développement. De plus en plus de comtés allouent des fonds à la planification familiale, développent leurs propres programmes de santé et créent même leurs propres groupes de travail technique de planification familiale. La stratégie FP2020 du Kenya est un facteur clé dans ce contexte, car les comtés incorporent les objectifs dans leurs propres programmes et s’approprient le processus.
Globalement, la vision à long
terme pour la planification
familiale au Kenya est excellente.
La décentralisation est un
processus compliqué qui prendra
des années à se développer et à
s’institutionnaliser. Mais le résultat
vers lequel nous tendons en vaudra
la peine : des programmes de
planification familiale axés sur la
communauté, durables, qui sont
ancrés dans les préoccupations
locales et répondent aux besoins
locaux.
Photographie : Mark Naftalin/FP2020
Le Dr Kibaru-Mbae figure au
nombre des leaders de la santé
publique depuis plus de 20 ans
et a été directrice générale
de la Communauté de santé
de l’Afrique australe, central
et orientale (East, Central
and Southern Africa Health
Community, ECSA-HC).